Découvr'Yon
Association de Loisirs et de Détente du
Pays Yonnais Association
loi 1901 gérée et animée uniquement par des bénévoles
85000 La Roche-sur-Yon
Les salariés de l’agence, déjà fragilisée par des réductions
d’effectifs, multiplient les grèves pour dénoncer un nouveau système
qui fournit au grand public des informations parfois erronées.
Enquête
De la neige en décembre à Briançon, la très haut perchée
sous-préfecture des Hautes-Alpes ? Ça n’est pas rare. Ce qui l’est
plus, c’est qu’on annonce des flocons en même temps qu’une température
de 9 °C. Un non-sens météorologique. Pourtant, cette prévision a bien
été diffusée, le 6 décembre, sur l’application de Météo France, le
service météorologique national.
Ça a fait sourire dans ce petit milieu. Mais pas à Météo France. Cet
impair y a été vu comme le marqueur d’une réorganisation contestée
depuis de longs mois, un projet « boulet », une « catastrophe »
préjudiciable à l’image de l’établissement.
Le projet 3P, l’élément perturbateur
Le projet 3P (pour « Programme Prévision-Production ») est entré en
phase opérationnelle le 13 novembre, après six ans d’esquisse. Il
prévoit plus d’automatisation de la production des prévisions diffusées
au grand public, en parallèle d’une baisse drastique des effectifs.
« Avant, tous les matins, les centres régionaux et le centre national
de Toulouse se mettaient d’accord sur un cadrage météorologique
grossier et ensuite, chaque région affinait les prévisions, en
utilisant les modèles les plus pertinents », rappelle Eva Krug,
représentante du personnel au pôle rennais de Météo France. Ces
prévisions, modifiables, se retrouvaient ensuite sous forme de cartes
sur les sites et applications de l’agence.
Les prévisions grand public sont désormais tirées d’un outil nommé
Alpha, qui agrège les données de différents modèles de prévision. Son
travail est vérifié, mais par une seule personne, basée à Toulouse. Le
rouage régional a disparu.
Si l’on en croit les salariés de Météo France, Alpha n’est guère au
point et les outils pour le corriger encore moins. En outre, les
données mises en ligne automatiquement ne sont pas modifiables pour les
six pre- ières heures de prévision. Ce qui empêche les prévisionnistes
de gommer rapidement des erreurs trop grossières.
Comme cette fameuse neige à Briançon par 9 °C, ou bien ces 28 °C prévus
à Strasbourg, le 9 décembre. Des bugs auxquels s’ajoutent des
difficultés plus structurelles, liées aux contextes météorologiques
complexes. « La robustesse de l’organisation 3P n’y est pas démontrée
», avait prévenu l’intersyndicale début novembre. Ces situations
complexes, et donc potentiellement problématiques, sont nombreuses :
orages, pluies extrêmes et bien sûr la neige.
De la neige à Paris pas anticipée
Lorsque les premiers flocons tombent à Paris le 9 janvier, après un
fort épisode neigeux dans le nord du pays, le site et l’application de
Météo France n’en font pas état. « Les modèles de prévision s’étaient
trompés, et notre outil a donc sorti quelque chose de faux », regrette
Eva Krug.
Deux jours plus tard, les prévisionnistes d’Île-de-France se fendent
d’un communiqué amer. « La nouvelle chaîne de production [a été]
défaillante avec une incapacité à prévoir la neige alors même que
l’événement était en cours. »
La direction de Météo France a pris conscience des lacunes du nouveau
système, malgré « un long déni » selon le personnel. Désormais, à
Toulouse, un prévisionniste-correcteur est « chargé d’assurer la
qualité et la cohérence de la base de production automatique » et «
d’apporter des corrections en lien avec les prévisionnistes dans les
régions ». Sauf que, comme l’estime Yann Amice, météorologue pour
Weather & Co, cette personne « ne peut rien faire, si ce n’est du
picorage. En France, au vu du nombre de microclimats, c’est une
hérésie. »
Les prévisionnistes veulent pouvoir intervenir dès les premières heures
de prévisions générées par la machine. Et « pouvoir corriger ces
sorties depuis les régions ». Ce qui suppose de redéployer des postes
dans les territoires.
Une image de marque détériorée
L’ampleur des erreurs affecte le personnel. « La honte s’abat sur un
établissement incapable de retranscrire dans sa base de données de
prévision ce que les citoyens constatent au-dessus de leur tête »,
écrivaient le 10 janvier les prévisionnistes d’Île-de-France. Un
mal-être qui fait écho aux récentes suppressions de postes : un tiers
des effectifs en quinze ans. Fin 2021, le sénateur centriste Vincent
Capo-Canellas, auteur d’un rapport spécial sur l’institution, indiquait
clairement qu’à Météo France, « on est à l’os ».
La situation actuelle peut aussi détériorer la relation de Météo France
avec ses partenaires institutionnels (pompiers, prévention des crues)
et commerciaux (prestataires autoroutiers, organisateurs de grands
événements). La direction rassure : « Un certain nombre de productions
font l’objet d’expertises complémentaires. » Par exemple, « les
bulletins de vigilance », rappelle Sébastien Delecray, représentant du
personnel Météo France à Lyon. Mais la coexistence de ces bulletins
avec les prévisions automatiques « brouille l’information » délivrée
aux utilisateurs. « Ils nous font encore confiance, mais jusqu’à quand
? »